Ludvine Schmitz – Le pur et l’impur
Ludvine : Depuis un an, la convivialité nous manque, le fait de manger avec nos proches, de nous réunir à table avec nos amis. Pourtant cette liberté n’est pas universelle.
PHARE FM : Que voulez-vous dire, Ludvine?
Ludvine : Eh bien laissez-moi vous raconter deux anecdotes, qui me sont arrivées en Inde. A 25 ans environ, j’ai rencontré à Calcutta le chef du temple jaïniste. Les jaïns sont strictement végétaliens, toute vie animale est sacrée, ils ne tuent même pas un insecte. Et cet ancien m’invita à manger chez lui, où il me présenta sa femme, ses enfants, petits-enfants. Tous vivaient sous le même toit, mais au moment de manger, ils disparurent dans une autre pièce. On m’apporta sur un plateau d’argent des plats parfumés : riz, lentilles, sauces colorées, noix, fruits. Et seulement après le repas, la famille réintégra la pièce où je me trouvais. Nous avons repris la conversation où nous l’avions laissée.
PHARE FM : Etrange, effectivement, et votre deuxième anecdote?
Ludvine : C’était à Madras, aujourd’hui Chennai. Je m’étais perdue dans un bidonville et la nuit tombait. Heureusement, je rencontrai un jeune homme habillé à l’occidentale, parlant anglais. Cet homme boitait, mais il marcha 2h pour me raccompagner à mon hôtel! Les jours suivants, pour le remercier, je tentai de l’inviter au restaurant. Impossible, il arrivait toujours trop tard. Jusqu’à ce que je réalise qu’il était brahmane, et ne pouvait pas manger avec moi. Pour un hindou de haute caste, une étrangère est quasiment inclassable, et donc traitée comme intouchable.
PHARE FM : Et qu’est-ce que ces histoires nous enseignent, Ludvine?
Ludvine : Elles font réfléchir sur les notions de pur et d’impur, et prendre conscience de la liberté inouïe dont les chrétiens jouissent. Dans l’Evangile, Jésus se retrouve souvent à table avec des publicains ou des collecteurs d’impôts. Le fait qu’il dîne avec eux choque les pharisiens. En plein repas, quand une femme de mœurs douteuses vient lui parfumer les pieds, les convives s’offusquent. A l’époque se laisser toucher par quelqu’un considéré comme impur revenait à se rendre impur. Le pur et l’impur ne classifient pas seulement les aliments dans l’Ancien Testament, ils s’appliquent par extension aux personnes.
PHARE FM : Effectivement, juifs et musulmans connaissent cette classification en pur et impur. Peut-on dire pour les Chrétiens que tout change à partir de la vision de Pierre, dans le Nouveau Testament, de cette nappe tendue, grouillant d’animaux impurs?
Ludvine : Exact. C’est la façon, certes choquante, de faire comprendre à Pierre qu’il n’a plus à tenir les lois alimentaires mosaïques. Désormais il peut entrer chez les Romains, les Grecs, et manger avec eux. C’est le coup d’envoi de l’évangélisation des nations, qui n’aurait pas été totalement possible si les 1ers disciples n’avaient pu accepter l’hospitalité de leurs hôtes. Aujourd’hui, les chrétiens savent, que malgré toutes leurs imperfections ici-bas, ils sont conviés dans le royaume des cieux à festoyer avec Celui qui les a purifiés. Dans l’Apocalypse, Jésus promet : «celui qui m’ouvre la porte, je mangerai avec lui et lui avec moi». Dans la même pièce, à la même table, la même nourriture!