Philippe Malidor nous amène au Cambodge dans sa chronique
Douch froide…
PHARE FM : Philippe, il y a quelques jours, un certain Douch est mort, au Cambodge. Il avait 77 ans. C’était un des pires tortionnaires à l’époque des Khmers rouges. Mais il paraît qu’il s’était converti au christianisme.
Philippe : Oui, Kaing Guek Eav, surnommé « Douch », avait été le responsable de la prison S21, où des milliers de personnes ont été torturées et supprimées. En 2010, il avait été condamné pour « crimes contre l’humanité, torture et meurtres ». Des témoignages épouvantables montraient qu’il ne torturait et n’assassinait pas seulement par idéologie mais par pur sadisme, à l’instar de Klaus Barbie, par exemple.
PHARE FM : Vous faites usage du « point Godwin ».
Philippe : Oui, le fait de comparer quelqu’un aux nazis pour dire qu’on ne peut pas tomber plus bas ! Mais l’analogie ne s’arrête pas là. Certes, reconnu et arrêté en 1999, Douch présente ses excuses et endosse la totale responsabilité des crimes commis sous son autorité – très bien. Mais, comme les « dignitaires » nazis, il affirme n’avoir fait qu’obéir aux ordres. Cet argument est typique chez ce genre de fonctionnaires de la mort, et il prouve que la résistance aux ordres injustes est une vertu à cultiver.
PHARE FM : S’il a présenté ses excuses, cela accréditerait la thèse de sa conversion au christianisme ?
Philippe : Après l’assassinat de sa femme qu’il impute à des partisans de Pol Pot, il fréquente des églises évangéliques américaines et fait baptiser ses enfants. C’est là qu’il est démasqué et qu’il accepte de reconnaître son passé.
PHARE FM : C’est une attitude plutôt positive, et probante.
Philippe : Oui, et j’aurais été le premier à m’en réjouir. Mais Douch n’a été probant qu’à moitié. Les observateurs ne sont pas parvenus à saisir sa psychologie profonde. Pendant son procès, il a exprimé de la contrition, puis s’est montré complètement indifférent. Il oscillait entre les aveux, les silences coupables et les ambiguïtés. On pense qu’il n’a pas de pathologie mentale, mais qu’il a de la « désempathie ». Or, quand on est disciple de Jésus, le Fils de Dieu torturé et crucifié, premièrement : on peut affronter son passé, même effroyable, parce qu’on a reçu son pardon ; deuxièmement : la moindre des choses est d’avoir de la compassion pour ses victimes. Or, j’ai l’impression que Douch était grillé dans ses affects, ou bien qu’il était trop accablé par son passé pour le regarder en face et l’assumer complètement. Donc : pas délivré par le Christ.
PHARE FM : Donc, que peut-on conclure ?
Philippe : On peut difficilement conclure. Jésus disait qu’on reconnaît l’arbre à ses fruits, et à cet égard, l’éventuelle conversion de Douch au christianisme, si elle est possible, reste douteuse. Dieu seul sait, maintenant que son sort est scellé, quelle est l’âme véritable de cet homme. C’est un des derniers acteurs de ce qui fut un des pires auto-génocides du xxe siècle. Les régimes totalitaires ont ceci de particulier qu’ils tuent leurs opposants après avoir tué l’âme de leurs propres partisans. Être chrétien, c’est aussi savoir désobéir, ne pas se soumettre, résister.