Grain de Sel ou Grain de Poivre ? du 24 juin 2020 – Jean-Marc Bellefleur – Retour sur une règle de Grammaire féminin masculin
Jean-Marc Bellefleur : Bonjour Lisa, bonjour Nathanaël, bonjour tout le monde ! En ce moment, certains enfants et ados retournent à l’école, d’autres non. Alors je me dis que nous pourrions faire un cours de trois minutes sur Phare-FM, pour les enfants qui restent à la maison.
PHARE FM : Quelle bonne idée ! Alors mathématiques, géographie ?
Jean-Marc Bellefleur : Grammaire, Lisa. Je voudrais commenter une règle bien connue des enseignants, et j’espère des élèves : “Le masculin l’emporte sur le féminin”.
PHARE FM : Ah oui quand on a une liste de noms masculins et féminins, on doit mettre l’adjectif qui les concerne au masculin. Même s’il n’y a qu’un nom masculin. C’est bien ça, Jean-Marc ?
Jean-Marc Bellefleur : Oui bravo. Par exemple : “Robert, Julie et Suzanne sont intelligents.” Et il pourrait y avoir en plus Marinette, Albertine et Cunégonde, ce serait toujours “intelligents” et pas “intelligentes”.
PHARE FM : Mais bon, ce n’est qu’une règle de grammaire, voilà tout…
Jean-Marc Bellefleur : Pas tant que ça, Lisa. Elle est aujourd’hui critiquée, d’ailleurs. C’est peut-être un détail aux oreilles de vos auditeurs, mais voici le genre de choses “anodines” qui finissent par avoir une influence sur nos mentalités. Et qui sont aussi le résultat de mentalités, d’ailleurs.
PHARE FM : Vous voulez dire que cette règle de grammaire est le résultat d’une influence sexiste ?
Jean-Marc Bellefleur : Exactement. Il y avait jadis une bien plus grande liberté, et notamment la “règle de proximité”, issue du latin, qui indiquait l’accord de l’adjectif avec le nom le plus proche. Dans ma phrase de tout à l’heure, selon cette règle, j’aurais donc dit : “Robert, Julie et Suzanne sont intelligentes.” Ou alors : “Julie, Suzanne et Robert sont intelligents.”
PHARE FM : Depuis quand a-t-on abandonné cette règle ?
Jean-Marc Bellefleur : A partir du dix-septième siècle, la règle de proximité a cédé la place à la règle actuelle, ceci pour des raisons idéologiques et non grammaticales. C’est bien ça que démontre une historienne, Eliane Viennot, qui s’est intéressée à ce domaine.
PHARE FM : Que veut-elle dire ?
Jean-Marc Bellefleur : Quelques citations vont vous répondre. Alors, je cite, “Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte” (citation de 1675). Ou encore, je cite, “Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle” (citation de 1767).
PHARE FM : Oui alors si on a adopté cette règle du “masculin qui l’emporte sur le féminin”, c’était pour traduire une vision sexiste du rapport entre les hommes et les femmes !
Jean-Marc Bellefleur : Vous avez tout compris, Lisa. On prend aujourd’hui plus conscience qu’avant de l’importance de la langue comme vecteur d’une mentalité. On parle notamment de l’invisibilité des femmes dans la langue, comme dans les noms de métier par exemple.
PHARE FM : Ou comme notre fameuse règle de grammaire !
Jean-Marc Bellefleur : Oui voilà. Mais rassurez-vous, je ne vais pas proposer une énième réforme de la grammaire. Je ne suis ni en capacité, ni en position de le faire, ni de m’aventurer sur le terrain délicat de l’écriture inclusive. Je mentionne quand même certains enseignants qui proposent que l’on revienne à la règle de la proximité, ou au moins à plus de liberté. Ou encore à la règle du plus grand nombre, selon laquelle on dirait : “Julie, Robert, Suzanne et Marinette sont intelligentes.”
Mais quoi qu’il advienne des règles de grammaire, je trouve important de mesurer l’influence regrettable que peuvent avoir ces “choses anodines”, mais très sexistes, dans nos mentalités.
Merci Jean-Marc