Grain de sel ou grain de poivre du 6 mai 2020 – Jean-François Mouhot – Ecologie et crise économique
PHARE FM : Dans des débats au parlement européen cette semaine, un politicien a suggéré que la pandémie de Coronavirus pourrait nécessiter le report des objectifs climatiques européens.
CHRONIQUEUR : Oui, le fameux Green Deal, qui était la priorité numéro 1 de la commission européenne, vient de prendre un sacré coup. Le virus a eu un « impact profond » sur l’économie européenne, a déclaré ce politicien. « Il pourrait donc être nécessaire de réviser ou de reporter la date de réalisation de l’objectif de neutralité climatique », a-t-il déclaré.
Et en effet, le coronavirus met le Green Deal européen à l’épreuve. Les objectifs, qui paraissaient déjà difficiles à atteindre avant l’épidémie, semble encore plus compliqués à envisager alors qu’une crise économique sévère menace l’Europe et le monde.
PHARE FM : Ce phénomène n’est pas nouveau?
CHRONIQUEUR : En fait, à chaque fois qu’une crise menace l’économie, les journalistes, les politiciens et l’opinion publique se désintéressent des questions écologiques. Ca a été le cas par exemple après une vague sans précédent d’intérêt pour l’écologie, entre 1988 et 1990, qui avait vu les journaux faire les gros titres sur le trou de la couche d’ozone, les pluies acides, et l’effet de serre (plus connu aujourd’hui sous le nom de changement climatique). Mais dès le début des années 90, cet emballement médiatique s’était presque entièrement éteint, en raison notamment d’autres préoccupations qui étaient venues occuper le devant de la scène : la première guerre du Golfe puis la crise économique du début des années 1990. Comme le magazine The Economist le fit remarquer en Décembre 1990 : « Merci, mouvement écologiste, de nous avoir montré tous les problèmes. On se retrouvera quand la prospérité sera de retour”
PHARE FM : Le même phénomène s’est produit à nouveau vers 2006-2008…
CHRONIQUEUR : Oui, à ce moment là à nouveau les problèmes écologiques ont été fortement médiatisés et les écologistes ont fait de bons scores aux élections européennes. Mais une nouvelle fois, la crise économique de 2008 a mis un frein à la prise de conscience écologique. Il est à craindre que la même chose se produise en 2020.
PHARE FM : On se retrouve finalement avec un problème bien connu des spécialistes:
CHRONIQUEUR : Oui, l’écologie est à la fois une nécessité vitale (c’est l’avenir de nos enfants qui est en jeu) et en même temps elle apparaît comme un luxe quand on est face à des problèmes bien plus pressants à court terme. Je me rappellerai toujours la réflexion d’une femme dans mon église il y a une quinzaine d’années. Après une présentation sur le changement climatique, elle m’avait interpellé, elle qui avait plusieurs enfants et petits enfants adoptés qui lui posaient beaucoup de soucis, et elle m’avait dit que à la fin de sa journée, quand elle avait fini de s’occuper de ses enfants, le recyclage était le dernier de ses soucis!
S’il me fallait choisir comme dans certains pays du Sud entre nourrir mes enfants ou ne pas couper un arbre, je choisirais à n’en pas douter de nourrir mes enfants même s’il fallait couper l’arbre. C’est en quelque sorte ce que résumait le slogan des gilets jaunes: “pendant que certains se préoccupent de la fin du monde, nous on se préoccupe de nos fins de mois”;
C’est un fait que se préoccuper de l’écologie est beaucoup plus facile quand tout va bien par ailleurs, quand on n’a pas d’autres problèmes majeurs.
Il ne nous reste plus qu’à prier que les prochains mois et années ne suivront pas la même tendance, que les intérêts à long terme de la planète seront vus comme plus importants que les profits à court terme, et que l’écologie restera un sujet en haut de l’agenda des politiciens.