Ludvine Schmitz – Le carreau de chocolat
Ludvine : Bonjour à tous. Puisqu’on est dans la période de l’Avent, j’aimerais vous parler d’une histoire qui me rappelle un peu Noël. Il y est certes question de chocolat, mais plus sérieusement, elle parle d’un bébé condamné d’avance. Cette histoire a été racontée il y a quelques années par Francine Christophe.
PHARE FM : Super, on adore les histoires vraies! Mais qui est Francine Christophe, Ludvine?
Ludvine : Une parisienne, née en 1933. A dix ans, Francine Christophe fut déportée au camp de concentration de Bergen-Belsen avec sa mère. Elle avait pu emporter deux carrés de chocolat qu’elle tenait précieusement cachés. Pour le jour où elle deviendrait peut-être trop faible et en aurait besoin. Mais voilà que dans leur baraque, arrive une jeune déportée, enceinte.
PHARE FM : Sa grossesse se voyait-elle ?
Ludvine : Non, la jeune femme était maigre mais elle alla jusqu’au bout de sa grossesse. Au moment de l’accouchement, la mère de Francine parla avec sa fille : «Comment te sens-tu?». -Bien, Maman, répondit Francine. Alors la maman demanda la permission d’avoir un carré de chocolat, pour la jeune femme. Francine donna son chocolat. La jeune femme survit à l’accouchement et son bébé aussi.
PHARE FM : Dans de telles conditions, cela paraît incroyable. Et le bébé a-t-il pu être nourri?
Ludvine : Eh bien, sa maman n’avait pas de lait. Les femmes de la baraque payèrent la personne qui nettoyait le bureau des SS pour qu’elle leur ramène du lait en poudre. «Payer» signifiait donner de sa ration de pain ou de soupe. Le bébé fut ainsi nourri quelques mois. Quand il n’y eut plus de lait en poudre, sa maman lui mâcha du rutabaga pour en faire de la bouillie, et la mettre dans la bouche du bébé. Et pour l’habiller, les femmes coupèrent des bouts de tissu de leur propre tenue, l’une sa ceinture, l’autre son ourlet, son col.
PHARE FM : Mais ce bébé devait attirer l’attention, non?
Ludvine : Aussi étonnant que cela puisse paraître : ce bébé ne pleurait pas. Francine Christophe raconte qu’elle ne l’a pas entendu une fois pleurer pendant 6 mois! Il était en quelque sorte ficelé contre la maigre poitrine de sa mère, sous sa blouse. Et bien que la maman allât travailler, son chef ne remarqua jamais le bébé! Et puis heureusement, la Libération est arrivée.
PHARE FM : Et le bébé avait survécu jusque-là, Ludvine?
Ludvine : Oui! Et Francine Christophe raconte qu’au moment de leur libération, pour la première fois, elle a entendu le bébé pleurer. Comme si ce jour-là marquait sa naissance! Et puis par la suite, Francine Christophe l’a perdu de vue. Elle a regagné la France et, les années passant, fondé une famille. En tant que survivante de la Shoah, elle a plus tard témoigné sur sa déportation et sa vie en camp de concentration. Un jour, Francine Christophe fit une conférence sur les survivants de camps et la psychologie. Beaucoup de monde y assista. A la fin, une médecin-psychiatre de Marseille s’approcha de la conférencière. Avant d’échanger avec Francine, la femme lui tendit un carré de chocolat et lui dit : «Je suis le bébé!»