L’invitée de la semaine — Exposition Science fiction Design avec Nina Steinmüller

Dans l’invité de la semaine Mulhouse et Bâle, cette semaine, nous partons pour un voyage vers le futur avec Nina Steinmüller, commissaire de l’exposition Science Fiction Design : from Space Age to Metaverse, qui se tient au Vitra Schaudepot, une plongée dans l’univers du design, inspiré par la science-fiction et vice-versa. Un voyage entre passé, futur, réalité et virtuel, à découvrir au Vitra Schaudepot jusqu’en mai 2026.
L’idée de cette exposition est née de l’envie de relier deux univers que l’on pourrait croire éloignés : la science-fiction et le design. À travers le parcours proposé, on découvre des objets allant du début du XXe siècle jusqu’au métavers. La sélection des pièces exposées a été réalisée avec soin, en choisissant celles qui illustrent au mieux les liens entre imagination futuriste et création concrète, en montrant comment la science-fiction a inspiré et continue d’influencer le design contemporain.
L’idée de cette exposition sur la science-fiction et le design existait depuis longtemps, notamment en raison de la riche collection du Vitra Design Museum, qui comprend environ 7 000 pièces, dont de nombreux meubles de l’ère spatiale des années 1960-1970, au style résolument futuriste. L’exposition, présentée au Schaudepot, ne se limite pas à cette période : elle remonte jusqu’aux années 1850-1900 et se projette vers le futur du design. La sélection s’est faite à partir de pièces présentant un potentiel futuriste, que ce soit par leur forme, leur usage de technologies ou de matériaux innovants (comme l’impression 3D), ou encore par leur apparition dans des films ou séries de science-fiction. Une œuvre du scénographe Andrés Reisinger, spécialement invité pour concevoir l’exposition, y figure également.
L’époque du Space Age a marqué le design par ses formes futuristes inspirées de la conquête spatiale. Certains objets, comme les chaises d’Olivier Mourgue dans 2001, l’Odyssée de l’espace, sont devenus iconiques grâce au cinéma. Hollywood a largement contribué à populariser ces créations en les intégrant dans des univers de science-fiction.
L’ère spatiale, qui s’étend de la fin des années 1950 au début des années 1970, a marqué un tournant dans l’histoire du design, avec l’émergence de meubles innovants aux formes organiques, réalisés en matériaux nouveaux comme le plastique, la mousse ou le polyuréthane. Des designers comme Verner Panton, Joe Colombo ou Luigi Colani ont façonné cette esthétique colorée et futuriste, en lien avec les idéaux d’après-guerre. Cette période a aussi vu un rapprochement entre design et science-fiction, notamment au cinéma, où des productions comme Star Trek, Space 1999 ou 2001, l’Odyssée de l’espace ont utilisé ces meubles avant-gardistes. Stanley Kubrick, séduit par une chaise d’Olivier Mourgue aperçue dans un magazine, l’a intégrée à son film, rendant l’objet – et son créateur – iconique.
Une partie de l’exposition est consacrée aux œuvres du designer Andrés Reisinger, créées à l’origine pour des mondes virtuels. Cela révèle combien notre rapport au design et au réel évolue. Des objets comme la chaise Hortensia, d’abord conçue sous forme de NFT (jetons non fongibles), ont ensuite été fabriqués physiquement, illustrant la porosité croissante entre virtuel et tangible. Le virtuel est ainsi devenu un terrain incontournable du design contemporain, offrant aux créateurs de nouvelles libertés d’expression et de nouvelles manières d’interagir avec le public.
Andrés Reisinger est un designer argentin reconnu pour son travail dans le monde numérique. C’est justement pour cette raison que le Vitra Design Museum lui a confié la scénographie de l’exposition, tout en y présentant certaines de ses créations. Reisinger appartient à une nouvelle génération de créateurs qui se sentent plus à l’aise dans les espaces virtuels que dans le monde physique. Pour lui, concevoir dans le numérique offre une grande liberté : pas de contraintes liées aux matériaux, aux prototypes ou à la production. Il y voit un espace vierge, une toile blanche, dans lequel il peut exprimer pleinement sa créativité. Il crée notamment des meubles qui n’existent que sous forme numérique ou en tant que NFT (jetons non fongibles), des objets immatériels capables de changer de forme, de s’animer, ou même de respirer. Cela pose de nouvelles questions pour les institutions comme les musées, qui collectionnent traditionnellement des objets physiques. Andrés Reisinger est l’un des rares designers à avoir réussi dans ce domaine encore émergent du design virtuel. Un exemple emblématique présenté dans l’exposition est la chaise Hortensia. À l’origine, il s’agissait d’un meuble virtuel, imaginé dans le cadre d’une série numérique. Mais face à l’engouement suscité par cette création, Andrés Reisinger a décidé de la produire en réalité. Il a alors collaboré avec un designer textile pour créer un véritable fauteuil, évoquant un bouquet de fleurs dans lequel on peut littéralement s’enfoncer. L’exposition montre également un court film où la chaise « raconte » son passage du monde virtuel au monde réel, abordant les notions de matière, de poids, de toucher ou encore d’odeur. Cela soulève des réflexions passionnantes sur les nouvelles frontières du design et sur l’avenir d’un art qui évolue entre immatérialité et matérialité.
La science-fiction aborde des enjeux actuels comme le climat ou l’IA, et le design en reflète les questionnements. Il peut aussi proposer des visions utopiques et des solutions concrètes pour imaginer un futur meilleur.
L’exposition montre que la science-fiction, qu’elle soit dans les livres ou les films, a toujours abordé des thèmes très actuels comme le racisme, l’impérialisme, le changement climatique ou les avancées technologiques. Ces récits posent souvent la question : comment réagir face à un monde en crise ? Le design partage cette même volonté de réflexion et de réponse. Même s’il ne raconte pas d’histoires comme le cinéma, il cherche à proposer des solutions concrètes à ces grands enjeux. Aujourd’hui, de nombreux jeunes designers s’engagent pour un avenir plus durable. Ils expérimentent avec des matériaux écologiques comme les algues, le bois ou le mycélium pour remplacer les plastiques, et conçoivent des objets ou systèmes qui utilisent des énergies renouvelables comme le solaire. Leur objectif : créer avec le moins d’impact possible sur l’environnement, tout en imaginant un monde plus inclusif et responsable.
Parmi les pièces exposées, certaines illustrent parfaitement le lien entre science-fiction et design, en montrant comment l’imaginaire peut inspirer des solutions concrètes pour notre avenir. Ces œuvres sont à la fois fascinantes et porteuses de sens. C’est pourquoi cette exposition s’adresse à tout le monde, même à ceux qui pensent ne pas être concernés par le design ou la science-fiction : elle parle de notre monde, de ses défis, et de la manière dont on peut les repenser avec créativité.
Parmi les 100 pièces de l’exposition, deux objets se distinguent particulièrement. Le premier est un magazine de science-fiction datant de 1932, édité par Hugo Gernsback. Avec ses illustrations de robots, fusées et OVNIs, il témoigne de l’intérêt ancien pour le design et l’imaginaire futuriste. Le second est la chaise Hortensia, un fauteuil rose en forme de bouquet de fleurs, à la fois poétique et innovant, qui attire immédiatement le regard. L’exposition offre bien plus que des objets : elle invite à la découverte et à l’inspiration. Le campus Vitra, avec ses bâtiments signés par de grands architectes, ses autres expositions, ses restaurants et ses espaces de détente, permet de passer une journée complète entre design, architecture et plaisir.