L’invitée du jour — Perle Dimanche donne voix aux silences de l’outre-mer avec « Entendez-nous »

L'invité du Jour
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L'invitée du jour — Perle Dimanche donne voix aux silences de l’outre-mer avec "Entendez-nous"
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Aujourd’hui, un sujet aussi sensible que fondamental : celui de la fugue territoriale. Ce départ massif, souvent silencieux, des jeunes originaires des territoires d’outre-mer vers la métropole.
Pourquoi partent-ils ? Pourquoi ne reviennent-ils pas ? Et surtout, que révèle ce phénomène sur notre société, nos territoires et nos rêves d’avenir ?
Pour en parler, je reçois aujourd’hui Perle Dimanche, comédienne, autrice et metteuse en scène guyanaise. Elle est à l’origine de la pièce Entendez-nous, une création poignante qui donne la parole à celles et ceux qui partent — parfois sans retour — et à ceux qui restent.

 

Dans Entendez-nous, vous introduisez la notion de « fugue territoriale », un terme fort et évocateur. Ce choix s’inscrit dans une réflexion plus large sur votre parcours personnel : ayant grandi en Guyane avant de vivre une grande partie de votre vie en métropole, vous explorez à travers cette expression les tensions, les déplacements et les quêtes d’appartenance qui vous traversent. Ce vécu singulier nourrit profondément la pièce, tant dans son propos que dans sa forme.

Justement, cette forme est hybride : théâtre, témoignages, ateliers, débats s’y entremêlent. Ce choix artistique témoigne d’une volonté de brouiller les frontières entre fiction et réalité, entre scène et société. En adoptant cette structure, vous cherchez à provoquer une réaction, une prise de conscience, voire une implication active du public.

Pour moi, « fugue territoriale », c’est ce moment où l’on part, pas toujours parce qu’on le veut, mais parce qu’on n’a plus le choix — comme moi, à 17 ans, quittant la Guyane. Ce mot, je l’utilise parce qu’il dit ce que vivent tant de jeunes et de moins jeunes : cette nécessité de partir pour espérer, pour commencer à vivre ailleurs. Et c’est tout ça que j’ai voulu faire entendre dans Entendez-nous — pas ma voix seule, mais celle de tous ceux qui ont connu cette fugue, de près ou de loin.

Lors des ateliers-débats menés avec les jeunes, certaines paroles ont profondément résonné en vous. Des récits, parfois bouleversants, ont émergé, révélant des réalités souvent invisibilisées, des blessures enfouies, mais aussi une force de vie et une lucidité saisissante. Ces échanges ont nourri la pièce en profondeur, lui donnant une densité émotionnelle et politique singulière.

Dans cette dynamique, vous cherchez à mobiliser les médias, conscients de leur pouvoir de relais et de transformation. Ils peuvent jouer un rôle essentiel dans la libération de la parole, en particulier celle des jeunes issus des territoires d’outre-mer, et dans la valorisation de ces espaces trop souvent marginalisés dans les récits nationaux.

La pièce aborde également des blessures intimes, familiales, parfois tues. Vous avez choisi de les traiter avec pudeur, sans tomber dans le pathos, en leur donnant une portée à la fois politique et poétique. Ce traitement subtil permet de faire émerger une parole sensible, incarnée, qui touche sans écraser, qui émeut tout en éveillant la pensée.

Ce qui m’a bouleversée, c’est ce moment où, face à une centaine de collégiens, 90 % disent déjà vouloir partir — comme si c’était une évidence, une fatalité. On comprend alors que cette envie de fuite est ancrée très tôt, bien avant le bac, et qu’elle cache souvent des blessures profondes, comme celles d’Élodie, qui ne part pas pour étudier, mais pour survivre. Avec Entendez-nous, je veux que cette parole sincère touche au-delà des scènes, que les médias s’en emparent, et qu’ensemble, on provoque non pas un simple changement, mais un vrai réveil collectif.