Jérôme Garnier – Revenons à l’histoire de la caricature
PHARE FM : Suite à l’assassinat du professeur d’Histoire géographie, vous souhaitez aborder le sujet un peu différemment en nous parlant de l’histoire de la caricature.
Jérôme Garnier : Oui moi même enseignant en Histoire je remarque que cette matière nous permet de prendre beaucoup de recul sur le présent. Nous permet de garder la tête froide lorsque des événements comme celui que nous avons vécu nous poussent à réagir dans la passion ou l’émotion comme c’est le cas trop souvent dans nos médias. Les réseaux sociaux n’y sont pas pour rien au passage …
PHARE FM : Ainsi la caricature n’est pas propre à notre époque …
Jérôme Garnier : Non effectivement, cela remonte à l’Antiquité, où l’espace public est le lieu privilégié de l’expression de la caricature. On en a trouvé en Grèce ancienne mais aussi dans les rues de Pompéi ou encore sur du papyrus égyptien.
Même les premiers chrétiens en ont fait les frais puisque Jésus a été caricaturé en âne par des païens romains.
PHARE FM : Y-a-t-il des périodes plus propices à la caricature ?
Jérôme Garnier : J’en compte trois. La première va de paire avec la diffusion de l’imprimerie: c’est la Réforme protestante. Les Réformés étaient assez bons -si je peux me permettre- dans l’art de la caricature, les papes de l’époque en ont fait les frais !
Et puis la deuxième bien sûr c’est la période révolutionnaire. Alors là, on retrouve Louis XVI en porc, on s’essuie les fesses avec une bulle pontificale… et j’en passe.
Et enfin le XIXème siècle avec notamment l’affaire Dreyfus. Tout le monde se souvient de cette caricature où l’on voit une famille avant et après avoir parlé de l’affaire qui divise la France.
PHARE FM : Existe-t-il d’autres exemples hors d’Europe peut-être ?
Jérôme Garnier : Oui bien sûr mais moins connus. J’aimerais citer des caricatures chinoises du XIXème siècle à l’encontre des chrétiens. En effet, par un jeu de mot chinois entre les mots “catholicisme” et “grouinement du porc”, les autorités chinoises de l’époque ont encouragé des caricatures où Jésus est représenté en cochon. On peut même lire sur une de ces caricatures : “ Tirons sur le porc [Jésus] et décapitons les moutons [les étrangers] », on distingue un porc attaché à une croix et criblé de flèches, ainsi que des moutons en train d’être décapités.
Vous comprenez que c’est plus que de la caricature mais un appel au meurtre ici.
PHARE FM : Alors que retenir de cette rétrospective de la caricature ?
Jérôme Garnier : J’en retiendrais deux : la première c’est que ces caricatures fleurissent abondamment dans des périodes de crise. On le voit bien avec la crise religieuse liée à l’apparition du protestantisme mais aussi dans une crise d’identité nationale comme pendant la Révolution française et au XIXème siècle. Je crois donc que l’épisode que nous vivons actuellement nous alerte sur la crise dans laquelle nous nous trouvons. L’identité française est en crise.
Et puis, la religion est une cible privilégiée. Si effectivement c’est l’Islam qui se sent offensé ces derniers temps, le christianisme est depuis longtemps et partout en ligne de mire des caricaturistes. Loin de défendre une position victimaire, une des meilleures réponses est de rester des artisans de paix dans un monde de plus en plus instable.