L’invité du jour — Quand avoir un emploi ne suffit plus pour manger, avec Yann AUGER

Les visages de la pauvreté changent : ils portent parfois un badge d’entreprise ou une blouse de travail. En 2025, avoir un emploi ne garantit plus un accès suffisant à la nourriture. Andès, Association Nationale des Épiceries Solidaires, publie, avec Ipsos, un baromètre inédit et met en lumière l’ampleur du phénomène des travailleurs pauvres. Les 630 épiceries solidaires du réseau observent une augmentation significative du nombre de travailleurs pauvres parmi leurs bénéficiaires. Analyse et explication avec Yann Auger, Directeur Général d’Andès.
Les épiceries solidaires accueillent des publics variés confrontés à des difficultés, mais ces dernières années, une tendance se confirme : de plus en plus de travailleurs pauvres sollicitent notre aide.
L’étude révèle qu’en 2025, travailler ne suffit plus pour vivre dignement. Plus d’un actif pauvre sur deux a connu la faim. Un phénomène peu visible, malgré son ampleur.
Ce phénomène va à l’encontre d’une idée reçue, à savoir que le travail est ce qui permet de s’intégrer, de vivre correctement dans notre société. Il n’est pas très intuitif de réaliser que, dans bien des cas, le travail ne paie pas suffisamment et qu’il y a effectivement toute une partie de la population des travailleurs qui se trouve en grande difficulté.
Ces travailleurs pauvres qui ne peuvent pas manger à leur faim aujourd’hui ont des profils très diversifiés.
Les deux grandes populations mises en évidence par cette étude sont les familles monoparentales et les personnes seules. Pour être plus précis, il faut s’intéresser aux caractéristiques de leur emploi et de leur situation. On retrouve sans grande surprise beaucoup de personnes ayant des contrats précaires : CDD, intérim ou temps partiels subis ne permettant pas d’avoir un revenu plein et de vivre correctement. Il y a beaucoup de situations très différentes pour ce phénomène global.
Face à cette précarité, de nombreux parents adoptent des stratégies extrêmes pour protéger leurs enfants. Cette situation a des répercussions directes sur les plus jeunes.
C’est l’un des constats très préoccupants de cette étude. On se rend compte qu’il y a des impacts très forts dans les familles et sur les enfants. Plus d’un tiers des travailleurs pauvres déclarent être contraints de restreindre les quantités de nourriture qu’ils proposent à leurs enfants. Ce qui est terrible. Les parents adoptent des stratégies pour trouver des solutions tant bien que mal. Un peu plus de 20% d’entre eux demandent à leurs enfants de manger davantage à la cantine, le midi, en prévision de repas moins fournis le soir ou le week-end. On fait comme on peut quand on se retrouve dans ce type de situation.
Anxiété, mauvaise santé, découragement : les conséquences de la précarité vont bien au-delà de l’aspect alimentaire. On observe des impacts concrets sur la santé des personnes concernées.
Il s’agit d’une problématique globale, qui touche tous les aspects de la vie de ces personnes. Elle impacte leur santé physique, leur capacité à financer leurs soins et leur santé mentale. Un élément particulièrement frappant ressort de l’étude : les travailleurs pauvres interrogés semblent ne plus croire en une amélioration possible de leur situation dans les années à venir. Leur quotidien est marqué par le désespoir. C’est un phénomène frappant et très inquiétant.
Le constat est alarmant, mais des perspectives d’amélioration existent. Des solutions concrètes peuvent être mises en œuvre pour que l’accès à une alimentation digne ne soit plus conditionné par le type d’emploi ou le niveau de revenu.
Les travailleurs pauvres ont souvent le sentiment qu’ils ne peuvent pas faire appel à l’aide alimentaire. Ils ne sont que 36% à le faire, alors que bon nombre d’entre eux pourraient être aidés. Mais cela ne suffit pas : cette réponse d’urgence, bien qu’essentielle, ne peut être la seule. Au-delà des situations individuelles, c’est un phénomène social de grande ampleur qui nécessite une réponse plus globale, plus collective, et surtout plus politique. Une réponse qui ne pourra pas reposer uniquement sur les associations.