Grain de Sel ou Grain de Poivre ? 25 février 2020 – Jean-Philippe Rouillier – L’Irlande vit un tournant de son histoire

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L’invité de PHARE FM
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Grain de Sel ou Grain de Poivre ? 25 février 2020 - Jean-Philippe Rouillier - L'Irlande vit un tournant de son histoire
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PHARE FM : Jean-Philippe Rouillier, vous enseignez l’histoire politique du monde anglo-saxon et aujourd’hui vous avez choisi de nous parler de l’Irlande, et plus particulièrement, l’Irlande du Nord.

Quelle est la situation en Irlande du Nord aujourd’hui ?

Chroniqueur : L’île d’Irlande se trouve sous la domination du Royaume-Uni depuis 1801 et la signature de l’Acte d’Union. Cet accord entérine le rattachement forcé du Royaume d’Irlande, à majorité catholique, au Royaume-Uni principalement protestant. D’où la résurgence d’un sentiment antibritannique parfois encore très ancré, même encore aujourd’hui, en particulier en Irlande du Nord. Depuis presque 100 ans maintenant, protestants et catholiques tentent de cohabiter en Ulster, mais le chemin de la paix est semé d’entraves.

PHARE FM : Vous parlez de ce qu’on a appelé les « Troubles »?

Chroniqueur : L’Irlande du Nord a connu 30 années de guerre civile, avec près de 3500 morts. Deux factions terroristes étaient opposées, une catholique, l’IRA, une autre protestante, l’UVF. Les premiers luttant pour l’indépendance et la réunification, les seconds pour l’union avec Londres et le status quo. Heureusement, depuis 98, un accord de paix a été trouvé, et les attentats ont pris fin. Mais à Belfast, par exemple, les deux communautés vivent derrière d’immense grillages de 8m de hauteur, qu’on appelle les « murs de la paix ». On a plutôt l’impression de se promener dans des quartiers surveillés à l’identité omniprésente.

PHARE FM : Quelle est la part du fait religieux dans ces tensions ?

Chroniqueur : Il est clair que beaucoup d’entre elles remontent à une histoire lointaine. Il y a eu des actes de barbarie des deux côtés. Durant la grande famine de 1845-49, des milliers de Catholiques irlandais affamés furent obligés de renier leur foi pour avoir droit à la soupe populaire et sauver leurs enfants de la mort. Mais les Protestants ont également payé un lourd tribut sous les bombes de l’IRA. Le groupe de rock chrétien U2 a immortalisé le drame du Bloody Sunday dans sa célèbre chanson de 1983.

PHARE FM : Alors qu’est-ce qui a changé ces derniers temps ?

Chroniqueur : Il y a d’abord eu le Brexit. 55% des nord irlandais ont voté contre. Certains voulaient simplement garder les subventions européennes qui ont permis à la région de se développer. D’autres voulaient maintenir le lien historique avec Londres. Et beaucoup de jeunes croyaient et croient encore au projet de l’UE. Mais suite au Brexit, la question de la frontière physique s’est posée, et est devenue un véritable casse-tête. Puis Boris Johnson a été réélu triomphalement et Westminster a entériné la décision.

PHARE FM : Il y a donc eu des élections anticipées en Irlande en février

Chroniqueur : Et la nouveauté cette fois-ci, c’est que le parti catholique indépendantiste irlandais Sinn Fein, qui a toujours refusé de siéger à Westminster, est arrivé quasiment en tête des élections de février 2020. Il faut dire en premier que l’Irlande du nord n’avait plus de parlement depuis juin 2017, suite à des désaccords entre les deux partis principaux, le Sinn Fein et son rival protestant le DUP, qui soutenait Theresa May. Cela faisait ressurgir le risque d’une gestion de l’Ulster par la couronne britannique, un comble !

Les gens sont aussi inquiets de la situation liée au Brexit. Ils se tournent vers un parti qui milite pour la tenue d’un référendum pour réunifier l’île. Ce genre d’initiative n’est pas unique. Au rugby par exemple, lors du tournoi des 6 nations, l’équipe nationale regroupe des joueurs issus des deux provinces. Il y a donc deux hymnes nationaux. Le plus ancien affiche clairement le sentiment antibritannique, et l’autre, de 1995, prône le combat des joueurs irlandais tous ensemble face à leurs adversaires. Il y a donc des signes de réconciliation nationale ici ou là, mais il faudra sans doute encore quelques années pour que tombent les murs de la haine entre citoyens et entre chrétiens, et que le pays retrouve une véritable stabilité politique, religieuse et sociale.